Extraits le Bruit de l’héritage de Jean DIVASSA NYAMA


Du sommet de l’ozigo, le bradype lance son cri narquois au lion. Le vent s’est calmé, les nuages ont disparu, et les étoiles s’allument les unes après les autres sur le village endormi. Mukène, le sorcier, sort discrètement devant sa maison. C’est son heure. Il tend l’oreille, s’assure que les biternes dorment, il doit se rendre à une réunion mystique. Il rentre chez lui, ferme soigneusement sa porte,
et s’extirpe de son corps qu’il abandonne comme une coquille vide. Ceux qui dorment chez lui se réveillent toujours fatigués ! Il promène leurs esprits partout. On raconte qu’une femme a perdu son mari, parce qu’elle l’avait traversé la nuit en allant se soulager. À l’aube, Mukène n’avait pas pu retrouver leur maison, et l’esprit n’ayant pas regagné son enveloppe charnelle, le pauvre était décédé au lever du jour... On dit aussi que Mukène va se promener sur la lune. Les Blancs croient qu’ils sont les
premiers à y avoir mis les pieds, c’est ce qu’on apprend aux enfants à l’école, mais Mukène y est allé bien avant eux ! Pas avec des machines, bien sûr, mais en esprit. Visiter le soleil ne lui pose pas plus de problèmes, et bien d’autres choses, aussi, qu’on ne peut pas répéter : il faut habiller
les mots. Au petit matin, personne n’ose sortir : à Loango, on sait que Mukène choisit ce moment pour traverser le village de bout en bout, et retrouver son enveloppe charnelle. Le bradype dit à son ami le lion que son temps a sonné, puis le coq réveille les villageois, et leur rappelle qu’il est l’heure de réfléchir à la manière de résoudre les problèmes qui minent leur existence, enfin la
perdrix chante au moment que choisit le soleil pour pointer ses premiers rayons : il est grand temps de se mettre en route vers les champs. Le ciel est bleu, le vent doux, les fleurs s’ouvrent et brillent comme de l’or. Oncle Mâ adore ces jours chargés de lumière qui donnent le courage
et l’ardeur au travail. Un peu plus loin, à l’entrée du village, il aperçoit les jeunes hommes qui attendent leurs épouses pour les accompagner à la pêche. Les champignons ne se mangent pas crus, ils doivent baigner dans le guembwé, avec le bon poisson, comme leurs femmes savent si bien le faire. Ils iront tous à la rivière. Là, les femmes vont dresser un barrage - à Loango, les tâches sont bien partagées - puis, quand le torrent est coupé en deux, avec des calebasses, elles videront l’eau, tout en chantant. Elles se courbent ensemble, et au rythme de la mélopée, elles versent l’eau au même moment. Le clapotis de la rivière se mêle à la chanson, et cela donne une mélodie si belle qu’elles oublient leur peine. Déjà, les poissons frétillent, elles les ramassent et les déposent dans des corbeilles attachées à leurs tailles.

Un écureuil saute de branche en branche. Soudain, il pousse un cri. Les hommes sont sur leurs gardes, un danger guette les femmes, qu’ils connaissent bien : l’écureuil fuit le serpent. Elles prennent peur et se précipitent vers le rivage. Leurs maris les rassurent, pourtant elles tremblent quand elles l’aperçoivent qui nage tranquillement, poursuivant distraitement une grenouille. L’écureuil aussi, l’a vu, et il est monté tout en haut de l’arbre. Les hommes s’approchent de la rive, la machette d r e s s é e ; la peur change de camp ; le reptile sent le danger et plonge dans un trou. En chantant, hommes et femmes retournent au village, non sans poser des fougères à la croisée des sentiers.`
Jean DIVASSA NYAMA
Tiré du roman du même nom à paraître aux Éditions Ndzé

Jean DIVASSA NYAMA
Né en 1962 à Milimbe Kussu,
petit village du Sud du Gabon, il a
grandi dans une famille de
quatorze enfants. Son
appartenance à la race des
jumeaux, toujours mal perçue
dans la tradition Bantu, inspirait
crainte et méfiance à toute la
famille.
Très jeune, il s’est passionné pour
la littérature et l’histoire. Jean
Divassa a publié ses premiers
textes dans l’Union (le quotidien
national). Il a également participé
à la création de plusieurs ballets
avec la troupe théâtrale Douera.
Professeur d’anglais, il vit
actuellement à Libreville, au
Gabon. Là-bas, ses deux premiers
romans sont considérés comme
de véritables best-sellers.
Bibliographie
Oncle Mâ , Libreville (Gabon),
La Pensée Universelle, 1991
La vocation de Dignité ,
Libreville, Éditions Ndzé,
1997

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